Santosha

Je répète souvent la phrase : “je ne fais pas du sport, je fais du yoga”. Il ne faut pas voir dans cette phrase la fuite du travail physique – même si naturellement, je préfère me lover dans un plaid moelleux plutôt que suer dans du spandex, je l’assume !

Ce que je veux dire par là, peut-être maladroitement, c’est que le yoga est certes une discipline du corps mais pas seulement. C’est une discipline pour tous les corps. Physique, énergétique, émotionnel, subtil. Ce lien entre corps et esprit peut être vécu concrètement, avec la méditation comme les asanas. Il est aussi entretenu par l’étude des textes et de la philosophie du yoga.

Les différents Koshas
(en savoir plus dans cet article)

Réduire le yoga à une simple pratique physique serait lui retirer son essence. Il faut puiser dans ses textes fondamentaux et sa philosophie pour comprendre cette pratique dans son ensemble.

Les anciens textes de philosophie du yoga, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ont des applications très concrètes dans nos vies modernes.

Je te propose de (re)découvrir dans cet article le principe de santosha – particulièrement approprié pour la période des fêtes – mais également ses implications dans ta vie et ta pratique.

Traduire Santosha

Un peu de contexte avant toute chose : Santosha est un des cinq Niyamas. Les Niyamas sont un ensemble de règles de vie faisant partie d’un ensemble plus grand appelé les Huit membres (ou branches selon les traductions) du Yoga. Ce code éthique et de vie de la pratique yoguique est issu des Yoga Sutras de Patanjalipour en savoir plus, j’ai écrit un article de présentation à ce sujet.

Santosha (सन्तोष) en sanskrit se traduit par satisfactioncontentement. Une simple recherche sur le mot nous montre qu’il regroupe plusieurs idées, ce qui peut faire varier sa traduction d’un ouvrage à l’autre.

Capture depuis le site https://spokensanskrit.org/

Santosha apparaît par deux fois dans Sadhana Pada. La première occurrence (sutra II.32) est dans l’énumération des cinq ramifications de Niyamas (voir l’article de présentation des Yoga Sutras pour plus de détail sur les Niyamas).

La deuxième (sutra II.42) a beaucoup plus d’importance pour comprendre son sens :

Samtosad anuttamah sukha labbah

Prenons ce sutra mot à mot :

  • samtosad : à travers le contentement
  • anuttamahsuprême
  • sukhajoieplaisir
  • labbahatteindre

La traduction littérale de ce sutra est donc qu’à partir de la satisfaction de ce que l’on a, la pratique du contentement, nous atteignons la joie suprême.

Comprendre Santosha

Photo de Michael Cummins via Unsplash

Maintenant l’on a vu d’où vient le terme Santosha et comment le traduire, il faut creuser du côté de sa compréhension.

Santosha nous montre que la satisfaction de ce qui est déjà là, en nous, autour de nous, est la clef du bonheur. Accepter les choses telles qu’elles sont, et non telles que nous voudrions qu’elles soient, est une pratique quotidienne qui apporte une grande joie. 

La joie est déjà présente si l’on cesse de vouloir avoir le contrôle sur tout, si on accepte que le changement est inévitable et que nous n’avons pas à le plier aux caprices de notre mental. 

Cela nous montre également que le bonheur n’est pas la récompense à l’issue d’une longue série d’objectifs, mais le résultat de l’acceptation pleine et totale de ce qui est déjà.

Santosha nous pousse à abandonner nos résistances face à une situation donnée, regarder comment ses aspects déjà existants peuvent nous combler, plutôt que de lutter contre. Bien évidemment, c’est plus facilement envisageable dans des situations courantes que face à une tragédie.

Santosha vient poser la question de notre attachement aux choses (raga) ou de l’aversion qu’elles peuvent nous procurer (dvesha). Ces notions d’attachement et d’aversion sont importantes pour la compréhension de santosha et nous aurons bien le temps de revenir dessus dans un prochain article. 

Lire Santosha : pause lecture (extrait)

Il existe beaucoup de traductions et interprétations des Yoga Sutras. J’ai d’ailleurs écrit un article sur le blog concernant les différentes lectures sur ce sujet qui m’ont marqué. Parmi ces livres, voici un extrait de True yoga de Jennie Lee que je trouve simple et pertinent à propos de santosha.

“ La pratique de santosha nous encourage à être consciemment satisfaits durant tout le voyage et pas seulement une fois à destination. Nous pouvons toujours établir des buts et prendre des mesures pour les atteindre. Cependant, si nous en atteignons un et que nous nous attendons immédiatement à plus, ou si nous nous sentons coupable à cause de ce que nous n’avons pas encore accompli, nous ne mettons plus santosha en pratique.

Comme nous faisons ce qui est en notre pouvoir aujourd’hui pour nous rapprocher de nos buts et que nous nous abandonnons ensuite au contentement, nous pouvons dormir tranquille. Au lieu de craindre le fait que nous ne pouvons pas gouverner le futur, nous pouvons tirer du réconfort de savoir que notre seule tâche consiste à accepter ce qui se passe en ce moment et à nous en occuper. Demain apportera inévitablement un éventail mouvant de circonstances, et l’acceptation de ces circonstances sera notre travail de demain.

En accueillant la vie comme une pièce de théâtre fantastique, nous pouvons voir que nous avons des choix, comme les acteurs sur scène. Si nous fixons notre attention sur ce qui va mal, nous restons dans un mécontentement constant. Si nous nous identifions au divin en nous, rien ne peut venir se dresser entre nous et notre joie.

Quand nous incarnons santosha, nous nous sentons de moins en moins obligé.e.s de réagir, d’arranger, d’analyser, de changer ou de manipuler. Nous évaluons les désirs en nous demandant si chacun nous rapprochera ou nous éloignera de la paix intérieure et du contentement. Nous nous posons des questions pour déterminer si quelque chose est un plaisir transitoire ou durable. Est-il nécessaire ? Est-ce pour mon plus grand bien et celui de toutes les créatures ? M’apportera-t-il un bonheur durable ?” 

Santosha au quotidien

On pourrait disserter encore longuement sur santosha, mais essayons maintenant de voir quels peuvent être ses impacts concrets dans la vie de tous les jours.

Santosha dans la vie de tous les jours

Santosha est un changement de perspectives à tous les niveaux : 

  • matériel : réévaluer ce que l’on a face à ce l’on voudrait, ce qui nous est suffisant dans le moment présent, nos besoins face à nos envies. La méthode BISOU* peut d’ailleurs être un bon moyen de remettre en question le matériel avant un achat.
  • physique : apprécier notre corps pour les merveilles qu’il accomplit chaque jour, dans sa forme et son apparence actuelle et non celle que l’on voudrait qu’il est
  • interactions : trouver l’équilibre dans notre rapport aux autres, entre ce que l’on donne et ce que l’on reçoit, ce que l’on partage réellement et ce que l’on projette

Pour reprendre une formulation populaire, santosha c’est finalement voir le verre à moitié plein, se rendre compte de ce l’on a en nous, autour de nous. C’est apprécier chaque moment pleinement, accepter notre univers pour ce qu’il est.

* La méthode BISOU a été inventée par Marie Duboin Lefèvre et Herveline Verdeken dans le livre J’arrête de surconsommer !. Avant chaque achat, on va questionner les cinq points suivants :  

  • Besoin – réel ou non
  • Immédiateté – est-ce qu’il me faut vraiment cette chose à l’instant ou est-ce que finalement ça ne pourrait pas attendre ?
  • Semblable – est-ce que je n’ai pas déjà quelque chose de pareil ?
  • Origine – est-ce que ce que je veux est durable ? Quel est son impact social et écologique ?
  • Utile – est-ce que ce que je veux va m’être d’une quelconque utilité ou pas vraiment ?

Santosha pendant les fêtes de fin d’années

Travailler sur santosha, c’est célébrer ce que l’on a au lieu de désirer ce que l’on a pas.

Dans la période des fêtes de fin d’année, la consommation a tendance à remplacer tout : nos émotions, nos expériences. Acheter pour se faire plaisir ou faire plaisir à d’autres n’est pas condamnable loin de là. Mais si nous regardons maintenant à travers le filtre de santosha, plusieurs questions se posent : est-ce qu’acheter m’apporte du plaisir ou est-ce que cet acte vient combler un manque émotionnel ? De quoi ai-je réellement envie ou besoin ?

La période des fêtes est souvent marquée par le partage et les réunions. Nous sommes cependant poussés sans arrêt à consommer les fêtes, à être dans l’immédiateté du ressenti fugace, plus qu’à en faire une expérience.

Plusieurs suggestions pour aborder les fêtes avec plus de sérénité et de contentement :

  • faire un bilan de son année : je sais que vouloir trouver des choses positives et satisfaisantes en 2021, c’est une mission compliquée. Mais si on prend le temps, armé.e de ses carnet et stylo, de passer en revu son année, on se rend compte qu’il y a toujours une source de contentement malgré les circonstances si particulières de ces deux dernières années
  • partager avec ses proches : partager sur son année, ses réussites, ses difficultés, n’est pas forcément des plus facile mais apportera bien plus de satisfaction à long terme que de vivre les fêtes comme un enchaînements de “passages obligés” sous couvert de tradition
  • sortir de la consommation imposée : offrir des expériences plutôt que des objets, des cadeaux fait maison et / ou de seconde main
  • inviter le minimalisme à la table : essayer pour toutes choses, de privilégier la qualité sur la quantité, le durable sur l’éphémère

Santosha sur le tapis

Avec tous les points que nous avons abordé, regardons maintenant comment mettre en pratique santosha sur ton tapis.

Cela peut se concrétiser de différentes façons :

  • Avoir de la gratitude pour son corps : être pleinement reconnaissant.e de ce que son corps est capable de faire sur le tapis, de la magie qui s’opère à chaque instant dans son anatomie, son énergie, son mental
  • Etre satisfait.e de sa pratique dans le moment présent : ce qu’elle est maintenant et pas de ce qu’elle pourrait être “si …” ou “après X années de pratique”. Ne pas penser la pratique à travers un prisme de “limites” ou d’étapes, comme si on était une machine à optimiser, à vouloir être dans la posture de demain en oubliant aujourd’hui. La satisfaction est dans le moment présent et dans ce qui est, pas ce qui sera.

J’espère que cet article aura nourri tes réflexions sur le sujet et que tu auras envie de pratiquer plus régulièrement santosha, dans la vie comme sur le tapis.