Chanter avant, pendant et après sa pratique est pour moi une source de joie. Plus que le bonheur de faire vibrer son corps et son environnement de sons (plus ou moins mélodieux selon les organes), le chant des mantras dans la pratique du yoga est essentiel. Mais qu’est-ce qu’un mantra justement dans le yoga ? Quelles sont ses origines, ses effets sur le corps, le mental ? Comment approcher ces chants qui confèrent au yoga son aspect dévotionnel ? Voyons tout cela ensemble !
C’est quoi, un mantra ?
Un mantra (मन्त्र en sanskrit) est une formulation sacrée, une prière.
Ce terme se découpe avec “man” et “tra”. Man renvoie à manas (मनस्), l’esprit, et tra (त्राण) signifie protection. Le mantra est donc un instrument interne qui nous protège, qui calme notre esprit.
J’aime beaucoup la façon dont Clémentine Erpicum définit un mantra :
Un mantra est littéralement un outil de protection du mental, un instrument de l’esprit. En pratique, le terme désigne une formule sonore dotée d’une énergie particulière. Il peut s’agir d’un mot, d’une syllabe ou d’une courte phrase qui, par sa qualité vibratoire, agit sur le corps et l’âme.
Mantras – le yoga de la voix (2019)
Concrètement, le mantra est un son ou des phrases en sanskrit que l’on chante, en soi ou à voix haute. Dans le contexte du yoga, les mantras sont souvent utilisés pour ouvrir et / ou fermer une pratique. Mais il n’y a pas de codifications strictes à ce sujet et on peut tout aussi bien chanter des mantras pendant la pratique comme choisir de ne pas les mentionner du tout.
Une des caractéristiques dans la pratique du chant de mantras (ou le japa, la récitation) est la répétition. Là encore, le nombre de répétitions n’est pas choisi au hasard (mais ce n’est pas le propos de cet article). En effet, dans le cadre d’un cours ou d’une pratique courte, on choisira 3 cycles pour ouvrir / fermer la séance, 21 cycles pour une pratique personnelle dédiée plus longue ou encore les 108 répétitions traditionnelles pour une pratique complète d’un mantra.
Pour compter 108 fois notre chant de mantra, on utilise un mala. Souvent perçu en occident comme un joli sautoir, le mala est pourtant un instrument de pratique sacrée, au même titre qu’un chapelet. Il se compose de 108 perles en bois, en rudraksha (graines de cerisiers bleus, arbre très répandu en Inde) ou en pierres, que l’on fait rouler avec le pouce contre l’index.
Comprendre le mantra
Un mantra, qu’il soit simplement un son ou un long poème, est bien évidemment porteur de sens. Il est souvent dit que la vibration des sons du mantra est tout aussi importante que leurs sens, si ce n’est plus. Le mantra a une prononciation et un phrasé précis, même si là encore, cela varie en fonction des traditions, l’approche scandée védique n’est pas celle mélodieuse du bhakti. Toujours est-il qu’il est souvent mis en avant que ne pas connaître le sens d’un mantra n’est pas très important car on le ressent à travers ses vibrations.
Je ne mets absolument pas l’apport vibratoire de côté, on va d’ailleurs y revenir, mais je trouve pour ma part qu’il est important de connaître le sens des mots que l’on prononce. Cela apporte beaucoup plus de force à l’intention que nous plaçons dans la pratique. Cela permet aussi de ne pas se méprendre sur des termes – par exemple le français donne un sens très connoté au mot gourou, qui n’est pas celui que porte originellement le terme sanskrit guru.
Mais plus généralement, cela permet de comprendre ce que l’on dit et pourquoi on le dit.
Dévotion ou appropriation ?
Les mantras évoquent souvent des divinités de l’hindouisme et de ses ramifications tantriques. Mais alors, si le mantra est un chant sacré évoquant souvent des divinités hindoues, plusieurs questions se posent : est-ce une pratique religieuse et sa pratique en dehors de ce cadre est-elle de l’appropriation culturelle ?
Je n’ai certainement pas la prétention de régler la question épineuse de l’appropriation culturelle dans le yoga en quelques lignes. C’est cependant une réalité et il est crucial d’écouter les voix d’enseignant.es et pratiquant.es directement concerné.es.
La ligne est fine entre s’approprier des codes culturels et religieux qui peuvent ne pas être les nôtres en les sortant de leur contexte (et le plus souvent, pour en faire un “produit”) et respecter les racines des enseignements que l’on a reçu (au hasard, vouloir dépouiller le yoga de sa portée spirituelle et vouloir en faire un “sport”).
Concernant les mantras, si beaucoup évoquent Ganesh, Lakshmi, Narayana, Shiva ou Vishnu, ce n’est pas le cas de tous. Certains mantras ne mentionnent pas de divinités et peuvent avoir un sujet plus universel (par exemple la paix, l’amour, la santé). D’autres encore, comme les bija, les “sons racines”, sont composés de sons uniques (comme LAM, VAM ou OM). Ces sons peuvent également englober à eux seuls tous les sens que l’on attribue à un chakra.
De même, il est possible de percevoir les divinités mentionnées par les archétypes qu’elles incarnent, ce qui est souvent le cas en dehors d’un chant strictement religieux.
Dans tous les cas, le chant des mantras peut être pratiqué avec beaucoup de respect et de dévotion, que l’on soit croyant.e ou non. C’est aussi une des raisons pour laquelle je pense que les mantras doivent être transmis sans omettre leur sens profond. Connaître la portée d’un mantra, comprendre à qui il s’adresse (l’Univers, une divinité), permet de le pratiquer avec la spiritualité qui nous est propre.
Les bienfaits des mantras
Impacts physiologiques du chant
Généralement, un mantra est chanté sur le temps de l’expiration. Son premier effet sur le corps est mécanique puisqu’il va permettre d’allonger les expirations. C’est un des points recherchés dans les pranayamas, les exercices respiratoires. Allonger l’expiration par rapport à l’inspiration permet une meilleure oxygénation et est source de détente et d’apaisement sur le corps.
Mais cette contribution mécanique du souffle s’accompagne également d’une partition hormonale.
Le chant et plus largement la musique contribue à la libération de l’arginine vasopressine, une hormone qui aide (de manière schématisée) à la détente. Si la curiosité vous pique, voir à ce sujet La musique comme outil de stimulation cognitive, de la chercheuse Aline Moussard ou en version plus courte, cet article de 2016 de Suzana Kubik pour France Musique, La musicothérapie : la connaissons-nous vraiment ?
Rien ne nous empêche de chanter dans la langue de notre choix mais les mantras du yoga sont internationalement pratiqués en sanskrit. Il est souvent dit que le sanskrit est un langage très vibratoire et conçue pour être chantée.
Une explication très simple à cela est que la vibration du haut du palais produite par le chant de sons comme “OM / AM” fait à son tour vibrer la glande pituitaire (ou hypophyse). Cette glande endocrine va alors libérer de l’endorphine, une hormone connue pour provoquer un état allant du contentement au bonheur.
Effets du chant sur le mental
Les mantras, au-delà de l’aspect dévotionnel et spirituel, ont beaucoup d’impacts sur le mental. Ces impacts se ressentent autant en nous qu’autour de nous.
Vers l’intérieur. Le chant est une coupure vers notre espace privé, sacré. Il puise en nous, dans nos émotions, nos sensations et nous relie à notre monde intérieur. Que l’on chante en soi ou à voix haute, on cultive ses effets en nous avant même de penser à les offrir ou les dédier.
Chanter des mantras permet également de faire taire le mental en nous replaçant dans notre corps, par la vibration. Nous façonnons le son au même titre que nous pouvons le sentir, subtilement ou non, en nous.
Vers l’extérieur. Chanter nous permet de dépasser des blocages : souvent on n’ose pas s’exprimer, on n’ose pas prendre la place dont on a réellement besoin. La pratique des mantras est souvent timide à ses débuts, surtout quand on a tendance à avoir une nature réservée. Chanter concrétise notre expression au monde et donne du corps à notre confiance. C’est l’expression juste de notre personne, de l’espace que l’on se permet de lui donner – espace plus ou moins grand selon les natures, caractères et habitudes.
Notons aussi que la répétition permet de casser les réticences du mental. Un mantra chanté 108 fois est un bon exemple de mesure de cette évolution, de ce dépassement personnel. Plus on avance dans les 108 répétitions, plus on prend de l’assurance à travers l’ampleur des vibrations. La répétition permet aussi de normaliser le fait de donner de l’espace à sa voix, à son expression.
Cinq mantras à découvrir
Pour finir cette présentation, voici une sélection de cinq mantras que j’apprécie particulièrement. Chacun des mantras pourrait faire l’objet d’un article dédié, aussi ai-je décidé de ne mentionner uniquement que ses paroles, sa traduction et une de mes versions audio favorite.
Gayatri Mantra
Paroles
ॐ भूर्भुवः स्वः // Om Bhur bhuvah svaha
तत् सवितुर्वरेण्यं // Tat savitur varenyam
र्गो देवस्य धीमहि // Bhargo Devasya dheemahi
धियो यो नः प्रचोदयात् // Dheeyo yonah prachodayaat
Traduction
Om, Terre, Cieux et Eau,
Que l’excellent Soleil,
Brillant, divin et pieux,
Nous aide à méditer sur nos intellects galopants.
Version audio
Kirtan Kriya
(voir l’article complet à ce sujet)
Paroles
Saa Taa Naa Maa
Traduction
Naissance, Vie, Mort, Renaissance
Version audio
Adi Mantra
Paroles
ॐ नमो // Ong Namo
गुरु देव् नमो // Guru Dev Namo
Traduction
“Je m’incline et salue l’enseignant en moi comme celleux qui m’ont précédé” (ou aussi vu plus poétiquement parfois comme “Je m’incline devant l’énergie créative de l’infini.”)
Version audio
Lokakshema
Paroles
लोकाः समस्ताः सुखिनोभवंतु // Lokah samastah sukhino bhavantu
Traduction
Que tous les êtres, dans tous les mondes, soient heureux et libres.
Version audio
Maha Mrityunjaya Mantra
Paroles
ॐ त्र्य॑म्बकं यजामहे // Om Trayambakam Yajamahe
सु॒गन्धिं॑ पुष्टि॒वर्ध॑नम् // Sugandhim Pushtivardhanam
उ॒र्वा॒रु॒कमि॑व॒ बन्ध॑नान् // Urva Rukamiva Bandhanaan
मृ॒त्योर्मु॑क्षीय॒ माऽमृता॑॑त् // Mrityor Mokshiye Maamritat
Traduction
Om, nous adorons celui aux trois yeux (Shiva) qui rayonne et qui nourrit tous les êtres.
Puisse-t-il nous libérer de la mort et nous rendre immortels, tout comme le concombre est coupé de son lien (à la plante rampante).
Version audio
Très intéressant et clair
Merci pour ce bel articlr