Shariras et Koshas
La pratique du Yoga est une approche holistique du corps : non seulement physique, mais également énergétique, mentale, émotionnelle. Si l’étude du corps physique, à travers notamment l’anatomie, permet de cartographier le corps physique, qu’en est-il des autres aspects, de nos autres corps ?
Cette volonté de définir une carte des corps se retrouve dans différentes cultures et a mené à des systèmes permettant de les appréhender au mieux – par exemple, le système des chakras (dont le nom est très connu mais la réalité beaucoup moins, mais ce sera l’objet d’autres articles).
Mais dans ce cas là, comment cartographier les corps du physique au subtil ? La réponse se trouverait-elle dans la compilation de tous ces systèmes, toutes cultures confondues, pour une approche unifiée, globale ? Ce n’est malheureusement pas aussi simple que cela car, si ces systèmes ont des points communs, ils ne sont pas toujours superposables – pour reprendre notre métaphore des cartes et des calques.
A défaut d’une carte façon G**gle Maps des corps subtils sous la main, il est intéressant de connaître ces systèmes lorsque nous pratiquons. Mais également de comprendre plus finement ce que beaucoup d’enseignants désignent quand ils parlent de “nos” corps au pluriel. Je te propose dans cet article de découvrir deux grand systèmes que sont les Shariras et les Koshas.
Cet article a pour but de présenter différentes “cartes”, différents découpages du corps et de son énergie. Le but ici n’est pas d’être exhaustif mais d’avoir une première approche. Un peu comme l’index d’une salle des cartes, lorsque l’on a un doute, cet article a pour modeste but de dire “ce terme a telle signification et, dans tel système, il désigne cette partie”. Cette présentation se veut donc pratique, au même titre qu’il est intéressant de connaître la signification des signes et couleurs des balisages forestiers lors de randonnées, afin de savoir où l’on va et ce que l’on pourrait trouver sur notre chemin.
Regardons de plus près maintenant deux systèmes de cartographie des corps physiques et énergétiques : les shariras et les koshas.
Commençons par trois Shariras…
Le terme sharira (शरीर) signifie le corps et plus généralement “ce qui peut être facilement enlevé”. On retrouve ce terme dans les textes fondateurs de l’Ayurveda, que sont les traités médicaux antiques Charaka Samhita et Sushruta Samhita.
La tradition philosophique indienne décompose l’être humain en trois corps, trois shariras : stula, sukshma et karana.
La division en trois corps différents est souvent évoquée en Yoga et plus précisément la volonté de trouver l’harmonie et l’équilibre entre ces trois corps.
Stula Sharira
Stula sharira désigne le corps physique et tout ce qui le compose : os, muscles, articulations, liquides, fascias…
Sukshma Sharira
Sukshma Sharira désigne le corps énergétique, que l’on appelle également corps subtil, ésotérique ou encore éthéré. C’est dans cette dimension du corps qu’on pourra situer par exemple les chakras et que l’on peut observer le prana, l’énergie vitale.
Karana Sharira
Karana Sharira désigne le corps causal, la part qui survit au corps – que l’on pourrait appeler l’âme. Dans la philosophie tantrique et Samkhya, c’est ce que l’on désignera comme l’Atman, cette part de nous issue de l’Intelligence Universelle appelée Brahman, et qui contient en elle tout l’Univers.
Pour essayer d’appréhender plus facilement ces concepts philosophiques et religieux, on peut voir Brahman comme un océan infini et Atman est une seule goutte de cet océan. La goutte provient de l’océan et en même temps contient en son sein tout l’océan. Le Tantra voit ainsi l’humain comme cette goutte issue du Tout, constituée du Tout et qui, à sa mort, réintègre le grand Tout (ou Univers, Intelligence universelle…).
… et continuons avec cinq Koshas
Issu des textes anciens védiques des Upanishads, le terme de Kosha (कोश) signifie enveloppe, quelques chose qui contient, gaine à l’instar d’un fourreau.
L’être humain est composé de cinq Koshas, cinq densités différentes et ces enveloppes sont interconnectées entre elles.
Notons que chacun des noms des Koshas se finit par le suffixe “maya” qui se traduit par illusion. Sans rentrer dans de longues explications, retenons ici que malgré le découpage, le terme maya indique qu’il y aura toujours une part d’illusion, de non perçu ou intelligible, contre laquelle il faudra lutter.
Annamayakosha
Annamayakosha est le corps physique. C’est la densité la plus grande, le corps tangible, fait de “nourriture” terrestre. Annamayakosha est comparable à Stula Sharira.
Pranamayakosha
Pranamayakosha est le corps vital à travers duquel circule l’énergie. C’est la couche qui anime le corps physique grâce au prana, l’énergie vitale.
Attention à ne pas confondre pranamaya avec pranayama, que l’on pratique avec le souffle.
Manomayakosha
Manomayakosha est la couche qui englobe l’esprit, les sensations, les pensées et les émotions. Elle contient toutes les informations recueillies par notre corps et nos sens, que le cerveau doit ensuite analyser et traiter.
Vijnanamayakosha
Vijnanamayakosha (qui se prononce vig-gna-na-mayakosha) est le domaine de l’intelligence du Soi, la sagesse qui réside naturellement dans notre corps, au-delà de l’intellect ou de l’apprentissage. On pourrait ici le rapprocher du concept philosophique de l’inné (par opposition à l’acquis).
C’est le royaume de notre intuition tout autant que des processus de notre corps pour retrouver sans cesse son équilibre, son état d’homéostasie. C’est cette partie de nous qui sait où se situe notre équilibre parfait, le guna sattva, et qui se corrige ou se guérit par elle-même.
Anandamayakosha
Anandamayakosha est le corps du bonheur absolu et sans limite. Rien que ça ! C’est l’enveloppe de la félicité, de la béatitude, du bonheur d’être en connexion totale avec l’Univers.
C’est à travers anandamayakosha que nous éprouvons l’amour inconditionnel et la joie pure. C’est l’état suspendu que l’on souhaite retrouver à travers le yoga (et je sais pas toi, mais après un an de monde en pandémie, anandamaya kosha me semble parfois bien loin et inatteignable…).
La pratique yoguique se focalise très souvent sur les trois premiers koshas (annamaya, pranamaya et manomaya) mais les cinq sont pourtant interdépendants.
Les koshas et les huits membres du Yoga
Je te parle régulièrement des huit membres du Yoga issus des Yoga Sutras de Patanjali (et dans la longue liste des sujets que je souhaite partager avec toi figure un article de présentation générale sur ce sujet). Gardons à l’esprit pour aujourd’hui qu’il s’agit d’un code de conduite et d’éthique yoguique.
Je te propose ici une classification possible des huit membres du Yoga vus à travers les cinq koshas. J’ai dit en préambule de l’article que les différents systèmes et cartographies n’avaient pas vocation à être superposés, mais je ne résiste pas à te livrer cette approche comparatiste.
Annamayakosha (le corps physique) est lié aux trois premières branches :
- Yamas – qui comprend Ahimsa (non-violence), Satya (honnêteté), Asteya (générosité), Brahmacharya (maîtrise de soi), Aparigraha (détachement)
- Niyamas – qui comprend Saucha (pureté), Santosha (contentement), Tapas (action juste), Svadhyaya (étude de soi) et Ishvara Pranidhana (dévotion)
- Asana (la posture juste)
Pranamayakosha (le corps énergétique) est lié à la quatrième branche, Pranayama (la gestion de l’énergie).
Manomayakosha (le corps sensitif et l’esprit) est lié aux cinquième et sixième branches :
- Pratyahara (retrait de sens)
- Dharana (concentration)
Vijnanamayakosha (connaissance innée du Soi) est lié à la septième branche, Dhyana (méditation).
Et enfin Anandamayakosha (le corps du bonheur) est lié à la huitième et ultime branche qu’est Samadhi (l’éveil, la libération, la recherche de l’équanimité).
Si tous ces mots et concepts sont relativement nouveaux pour toi et que ce passage t’as fait plisser le front à la lecture, n’aie crainte.
Tu pourras y revenir quand tu voudras et quand tu le jugeras nécessaire. La beauté de l’apprentissage est qu’il n’a jamais vraiment de fin.
Koshas et shariras, même combat ?
Même si l’on constate des similitudes entre ces deux systèmes, ces deux cartographies, il n’y a pas de lien direct entre shariras et koshas. Ce ne sont tout simplement pas les mêmes cartes, mais les deux restent des outils valables et complémentaires.
Un possible critère de différenciation entre les deux systèmes peut être, avec beaucoup de pincettes, l’apport du Tantra. Les pincettes ici viennent du fait que l’origine même du Tantra et sa datation, restent encore floues et disputées par les experts. Mais, on peut avancer avec nos pincettes, que le système de koshas est pré-tantrique alors que celui des shariras est complètement influencé par le Tantra.
Le système des Koshas, bien qu’antérieur (**clic clic de pincettes**) reste un modèle primaire utilisé dans les fondations même du yoga thérapeutique.
La méditation et les exercices respiratoires (on ne change pas une équipe qui gagne !) sont les outils de prédilections pour découvrir nos koshas par l’expérience.
Mais attention : les koshas sont des outils, non des buts en soi. A travers ces pratiques yoguiques, nous partons à l’exploration de nous-même, des nos différentes “couches” et densités.
Il existe encore beaucoup d’autres systèmes et cartographies de l’énergie parmi lesquels nous pouvons citer les Vayus, les célèbres Chakras ou encore le Qi et les méridiens dans la médecine traditionnelle chinoise.
Nous aurons l’occasion d’aborder ces sujets dans d’autres articles. Si la multiplicité des approches peut paraître déroutante dans un premier temps, le temps et surtout l’expérience affinent les perceptions que nous pouvons en avoir et l’exploration de nos corps.
J’espère que cet article t’aura éclairé sur les notions de Shariras et Koshas et que tu auras envie de les approfondir toujours plus au fil de ta pratique.
1 Response
[…] représenter l’énergie, il faut bien évidemment tenter de la cartographier. Nous avons vu dans l’article sur les Koshas et les Shariras deux possibilités de cartographie du corps physique aux corps […]