Drishti

Photo de Andy Chilton via Unsplash

Tout le mois de janvier, j’ai évoqué l’intention, la volonté d’avoir une vision claire et il m’a donc semblé tout naturel de clôturer le mois avec le terme drishti dans la série “Les mots du Yoga”. Découvrons ensemble son sens et ses applications, tant dans nos pratiques yoguiques que dans la vie.

Drishti ?

Le drishti (en sanskrit दृष्टि),  c’est la vue, le regard, un point que l’on observe. Un drishti est un point que l’on fixe, vers lequel on projette toute notre attention. On projette notre attention par la vue, en se concentrant sur un point précis, mais également par le mental. 

Un drishti peut être externe : quand on fixe un point précis, une partie de notre corps dans une posture ou encore un objet ou le mur en face de soi. On parle ici de bahya drishti.

Par extension, un drishti peut donc aussi être interne, fixé par le pouvoir de notre attention – c’est le cas lorsque nous portons notre attention, yeux clos, sur un point précis. On parlera alors de anthara drishti

Siouxsie & The Banshees

Le drishti est donc autant physique, à travers des mouvements oculaires et la projection de la vue, que mental dans la projection énergétique et symbolique de l’attention. Le drishti est, avec le souffle, une des composantes essentielles dans la pratique yoguique. Il est dans l’attention que l’on porte aux postures, aux transitions. Le drishti nous pousse à prendre la place de l’observateur neutre, dans le juste équilibre entre détachement et attention.  

Regarder oui, mais vers où ?

Photo de Shane Hauser via Unsplash

Les neufs drishtis en Ashtanga

Il existe neuf drishtis dans la tradition de l’Ashtanga yoga / Mysore (selon le Yoga Korunta*) :

  1. Nasagra drishti : la pointe du nez
  2. Bhrumadhye drishti : le point entre les sourcils, ajna chakra
  3. Nabi drishti : le nombril
  4. Hastagre drishti : (main) au bout du majeur
  5. Padayoragre drishti : (pied) le gros orteil
  6. Parsva drishti (droite) : point situé le plus à droite du regard, à l’horizontale
  7. Parsva drishti (gauche) : point situé le plus à gauche du regard, à l’horizontale
  8. Angusthamadhye drishti : les pouces quand les mains sont jointes 
  9. Urdhva drishti : vers le ciel, à la verticale

Chaque posture a un drishti qui lui est lié en Ashtanga mais il est tout à fait possible de les varier, en choisissant un drishti vers soi pour plus d’ancrage ou vers le lointain pour une sensation d’expansion. 

*Je m’attarde un instant sur l’origine du Yoga Korunta. En quelques mots, il s’agirait d’un texte prétendument ancien sur lequel se serait appuyé Krishnamacharya au début du 20e siècle. L’influence de Krishnamacharya sur le yoga moderne tel qu’on le connaît aujourd’hui est énorme. On compte d’ailleurs parmi ses élèves Pattabhi Jois et B.K.S. Iyengar, qui ont popularisé internationalement les styles de yoga Ashtanga pour l’un et Iyengar pour l’autre. 

Des recherches (notamment Yoga Body de Mark Singleton) ont montré des faits discordants autour de l’origine de ce texte fondateur qu’est le Yoga Korunta : on n’en entend pas parler avant Krishnamacharya, il n’a jamais été copié ni transmis oralement malgré l’importance qu’on lui prêtait et sa seule version existante a disparu … mangée par des fourmis ! 

Le but de cet article n’est pas du tout de remettre en question le Yoga Korunta mais, au détour de quelques paragraphes, de toujours remettre les sources en question. Il est tout à fait probable que ce texte ancien ait été une invention bien plus moderne, pour asseoir la légitimité d’un propos. Cela ne remet pas en cause pour autant les bienfaits qu’il apporte à la pratique, passée comme moderne.

Le drishti dans la pratique et au-delà

Dans n’importe quelle pratique de yoga, le drishti nous aide de différentes façons.

Le drishti se retrouve dans les techniques de purification, comme j’ai pu le citer auparavant dans l’article sur Yoga & Detox, avec par exemple la pratique de trataka – fixer la flamme d’une bougie jusqu’à ce que les yeux pleurent. 

Dans un autre registre, lors d’une pratique posturale qui requiert de l’équilibre, la posture de l’arbre par exemple (vrksasana), on recommande souvent de fixer un point face à soi, son drishti. Dans les faits, garder son regard stable nous aide à maintenir notre corps dans la stabilité, en concentrant notre attention de manière intense. On observe aussi son effet sur le souffle, qui va se faire plus lent, plus subtil. 

Photo de Yayan Sopian via Unsplash

Prenez l’image d’un félin qui s’avance vers sa proie. Il ne quitte pas des yeux sa proie et tout son corps, sa respiration, se meut à travers cette attention aiguisée.

Il en va de même pour la personne qui pratique le yoga, de manière plus pacifique, dont les mouvements ou la stabilité seront intensifiés par la concentration accrue sur un drishti. Tout dans sa pratique est lié, corps, mental, mouvement, respiration. Chaque partie apporte plus de cohésion et de liant au tout qu’elle forme.

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On peut voir dans la pratique du drishti la transposition de la “règle de Hebb” en neurosciences (et qui s’applique également aux mathématiques des réseaux neuronaux) : “les neurones qui s’activent en même temps, se lient ensemble” (« cells that fire together, wire together », The Organization of Behavior, 1949). L’hypothèse de Donald Hebb est que, lors d’un processus d’apprentissage, on observe un effet de plasticité synaptique, c’est-à-dire que les synapses vont augmenter ou diminuer leurs activités entre elles en fonction d’un évènement. Les synapses, zones de contacts entre les neurones qui s’activent, sont de plus en plus efficaces selon la règle de Hebb lors de stimulations répétées et constantes.

Ainsi, à l’image des neurones entre eux, ce sur quoi nous portons notre attention régulièrement, ce que nous répétons jusqu’à en devenir une habitude, a un impact sur notre cerveau. On crée par l’attention accrue des habitudes de mouvements, de pensées et cela impacte notre expérience globale de la vie.

Le drishti est donc le lien invisible de notre attention – intérieure et extérieure – qui nous permet de garder l’équilibre en tout. Il joue un rôle méconnu et pourtant fondamental dans notre pratique. L’attention régulière sur le drishti nous permet aussi de prendre de la distance face aux évènements de la vie en changeant notre perspective, notre regard symbolique.

Pour ouvrir sur cette notion de regards, de perspectives à travers le yoga, je laisse le mot de fin à Anodea Judith (Anodea Judith’s chakra Yoga, 2015) sur la notion de drishti dans le yoga : 

“Mais votre regard, ou drishti, signifie bien plus que ça : c’est également votre perspective, ce que vous attendez, ce qui attire ou capte votre attention. Si vous vous concentrez sur ce qui ne va pas dans vos exercices, dans une séance, ou chez les autres autour de vous, cela colorera votre expérience. Si vous vous concentrez sur ce qui va bien, votre expérience intérieure se transformera. Un niveau plus profond du yoga est d’apprendre à commander votre perspective.

Dans le sens actif où voir, c’est commander, le fait de se concentrer sur ce qui va bien commence à commander votre réalité dans cette direction. Cela ne revient pas à vous engager dans la pensée positive jusqu’à nier la réalité. Il y a absolument un moment et un lieu pour reconnaître que quelque chose va de travers et tenter d’y remédier. Mais ce genre de considérations négatives peut devenir une habitude inconsciente. Il faut des efforts et de la volonté pour changer cette habitude afin de voir et de reconnaître ce qui est bien.  […]

Le yoga est précisément cette direction, de l’attention vers un monde plus profond inondé de lumière et de sens dans la vie quotidienne. Le yoga vous enseigne à voir différemment, transformant votre perspective et par conséquent, votre expérience. Cette nouvelle manière de voir – votre regard intérieur – illumine le chemin devant vous.”


J’espère que cet article t’aura éclairé sur la notion de drishti dans la pratique yoguique et ses impacts dans la vie de tous les jours. Comme toujours, n’hésite pas à me faire part de tes retours en commentaire ici ou sur mon compte Instagram.


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