Du mythe à la réalité
Une nouvelle année commence, avec ses envies de renouveau, de repartir sur de nouvelles bases – encore plus après l’année 2020 qui vient de passer. C’est la période où on songe souvent à faire une détox, à éliminer l’ancien pour faire place au nouveau. Alors que ces envies de renouvellement et de plus de légèreté sont tout à fait compréhensibles, la détox est porteuse d’un pendant beaucoup moins reluisant qui la rend nuisible et bien loin de l’aspect bénéfique qu’on lui portait. Une fois les fêtes de fin d’année passées, on voit fleurir un peu partout des injonctions à se purifier, à “perdre du poids” ou pour “retrouver sa ligne”… Le Yoga est entraîné bien malgré lui dans des promesses mues par l’appât du gain.
Je te propose de faire le point sur cette pratique : son but, ses bienfaits, ses liens avec le yoga mais aussi ses dérives et les dommages dont on ne parle pas assez souvent.
Principe d’une détox : pourquoi et comment ?
Reprenons d’abord à la base : qu’est-ce que c’est, “faire une détox” et quels bénéfices recherche-t-on en faisant cela ?
Faire “une détox”, c’est s’alléger, se débarrasser du surplus. C’est faire une pause dans notre rapport à quelque chose, prendre de la distance avec cela. Une détox peut concerner tout un tas de domaine donc (par exemple la “détox digitale” des réseaux sociaux, les écrans, etc …) mais je me concentrerai dans cet article sur la détox corporelle et alimentaire puisque c’est avant tout à celle-ci que l’on associe le yoga.
Caroline Florentin et Géraldine Pezet dans le brillant Mon corps en équilibre résument ce qu’est une détox :
“La cure de détoxification est une opération de drainage du corps pour éliminer les déchets en surcharge. C’est un temps de repos du système digestif et de reconnexion à ses sensations (faim, satiété, redécouverte des goûts et des plaisirs de l’assiette…). Ce n’est pas une tendance ou un effet de mode mais une nécessité aussi indispensable que l’évacuation des eaux usées. Dans un monde de plus en plus pollué, aussi bien dans l’air que dans l’assiette, elle vise à nettoyer, désencombrer et purifier le corps. Elle existe d’ailleurs depuis toujours aux quatre coins de la planète :
– en Inde, la détoxification est l’un des piliers thérapeutique de la médecine ayurvédique depuis des millénaires. Cette cure appelée panchakarma signifiant “les cinq éliminations”, vise à regénérer le corps et est pratiquée pendant 21 jours
– dans les pays nordiques, en Amérique du Nord, au Mexique, dans les pays du Proche et Moyen Orient, l’élimination des déchets se fait par la sudation au sauna, dans des bains de vapeur chaude, au hammam.”
Une détox vise à changer son alimentation sur une période donnée, de quelques jours à une semaine (ou parfois plus). Cela peut varier du simple rééquilibrage alimentaire à des actions plus ciblées, comme éliminer tout sucre raffiné sur une semaine pour atténuer l’impact négatif de ce dernier sur notre santé.
Une détox peut être solide ou liquide (dans le cadre d’une cure de jus ou jeûne hydrique). Dans tous les cas, le but est d’éliminer des facteurs négatifs pour notre santé dans notre alimentation, de revenir à l’équilibre après une suite d’excès.
Une détox peut être accompagnée de pratiques physiques comme le yoga ou la marche.
J’en reparle plus loin, mais je préfère l’énoncer tout de suite : non, une détox n’est pas un régime amincissant.
Puisque faire une cure de détoxification, c’est avant tout éliminer – ce n’est donc pas glamour. On va éliminer naturellement en allant aux toilettes mais aussi à travers la peau, la langue, les aisselles. Faire une détox se traduit très souvent par des poussées d’acné, une langue pâteuse au réveil, des odeurs plus fortes… bref, je vous passe les détails.
Rappelons également que dans ce type de cure, on vient accentuer les capacités naturelles de notre corps. Et oui, le corps se détoxifie naturellement tout seul, la nature est bien faite non ?
Certains de nos organes sont appelés des émonctoires et leur mission première est d’éliminer les déchets et tout ce qui se trouverait en trop grande quantité dans notre corps. Le foie est l’émonctoire le plus cité quand on parle de détox mais n’oublions pas la peau, les reins, les poumons ou encore les intestins. Les émonctoires sont très importants car ils permettent au corps de revenir à l’état d’équilibre, le fonctionnement optimal de notre corps : l’homéostasie, que l’on relie bien évidemment au principe du guna sattva – l’équilibre – en ayurveda et en yoga.
Quel rôle a le yoga dans tout ça ?
Yoga et la notion de purification
Alors tu me diras, “parler de sa santé c’est chouette et tout ça, mais on était venu pour du yoga !”. J’y viens justement !
Un des déclencheurs de cet article (j’en évoque un autre plus loin), c’est de voir l’appellation “Yoga Detox” brandie systématiquement en début d’année, à qui l’on prête tout et n’importe quoi comme bienfaits. Je laisse sciemment l’aspect “minceur” de côté pour l’instant, mais je m’y attaque dans la partie “Détox et dérives”.
Les textes anciens traitant du Hatha Yoga tels que le Hatha Yoga Pradipîkâ (haṭhayogapradīpikā) et le Gheranda Samhita (Gheraṇḍa saṃhitā) mentionnent des pratiques de purifications préalables à la pratique physique du Hatha :
“Une étape préliminaire de la discipline hatha est constituée de six purifications (satkarma), avec quelques variations selon les textes : (1) dhauti, ou le nettoyage de l’estomac par l’ingestion d’une bande de tissu longue et étroite; (2) basti, ou le “lavement yoguique” qui consiste à injecter de l’eau dans le colon au moyen d’une technique d’aspiration abdominale (uddiyana bandha); (3) neti, ou le nettoyage des voies nasales avec de l’eau ou un tissu; (4) trataka, ou regarder un point précis ou une bougie jusqu’à ce que les yeux pleurent; (5) nauli ou lauliki, qui consiste à masser l’abdomen en faisant bouger, de manière circulaire et énergique, le muscle droit de l’abdomen; et (6) kapalabhati, dans lequel on expire par le nez de manière répétée et avec force, en contractant les muscles abdominaux.”
On voit donc ici que le yoga, au-delà de la pratique purement posturale, offre de nombreux outils pour pratiquer des “nettoyages de l’intérieur” pour améliorer le fonctionnement global du corps.
Mais tu remarques, on ne parle pas ici de postures particulières mais de techniques de nettoyage. On est assez loin du “yoga détox” promu un peu partout comme pratique miracle. J’en conviens, l’image d’une personne dans une torsion parfaitement exécutée, sourire aux lèvres, est plus vendeuse que celle de l’écoulement depuis le neti lota du lavement nasal lorsqu’on pratique Jala Neti.
Pratique posturale : réel outil de soutien ?
Revenons un instant à la pratique posturale, mise en avant au détriment de tout ce qui fait le yoga, pour parler un peu des torsions et de tous les aspects merveilleux qu’on leur prête. Je ne vais pas me faire que des ami.e.s je pense, mais après tout, je n’oblige personne à lire ce blog.
Initialement, je voulais écrire un article sur les torsions, ou devrais-je dire le mythe des torsions et leurs supposés effets détoxifiants, notamment sur le foie. En faisant mes recherches, je suis tombée sur l’excellent article de Clémentine Erpicum sur le sujet. Quelle joie de découvrir qu’une de mes autrices préférées sur le yoga a non seulement traité ce sujet mais également mis le doigt sur les points qui me dérangeaient, notamment avec les théories de B. K. S. Iyengar sur les torsions.
“C’est la théorie popularisée par Iyengar et son fameux squeeze and soak, selon laquelle la torsion isole et comprime les organes digestifs, avec un effet “essorage” permettant d’évacuer le sang et les impuretés hors des tissus, lesquels sont ensuite imbibés de sang neuf, véritable bain de nutriments (imaginez une éponge). Selon l’auteur yogi Van Lysebeth, l’un des effets hygiéniques de la demi-torsion assise est ainsi de décongestionner le foie et l’ensemble du tube digestif.
La torsion a-t-elle réellement un effet “détox”?, Clémentine Erpicum
Le foie n’a pas besoin d’une torsion
La théorie est contestée par d’autres spécialistes, pour qui cette affirmation ne correspond pas à la réalité physiologique: pratiquer une torsion n’améliore pas le fonctionnement du foie, dans le sens où la torsion n’influence pas directement son fonctionnement biochimique et cellulaire. Aucune posture/aliment/rituel spécifique ne peut d’ailleurs faire travailler le foie plus vite ni plus fort. Prétendre le contraire serait nier l’homéostasie du corps humain, sa capacité à maintenir son équilibre de fonctionnement.”
Je vous invite fortement à lire en complément son article très complet sur les torsions en yoga et les bienfaits qu’on leur attribue (car elles en ont !).
Bien évidemment que les torsions ont leurs utilités en yoga, sur notre système digestif notamment, mais il a été démontré depuis les thèses d’Iyengar que vouloir comprimer cet organe n’apporte rien de concret. J’ai l’air de beaucoup insister sur ce point mais le mythe des torsions qui “essorent” le corps est tenace, y compris auprès de la communauté enseignante. Cela a malheureusement pour conséquences au mieux de la frustration et au pire de nombreuses blessures, souvent auto-infligées, quand on nous incite à tourner “encore plus” dans une torsion. Je conclurai sur le foie et la détox par la description qu’en donne Kristin Leal, éminente professeure d’anatomie du Yoga et formatrice de professeurs de Yoga, dans MetaAnatomy (vol. 2) :
« Le foie agit également comme un organe secondaire en produisant de la bile, qui est transportée par un système de conduits vers la vésicule biliaire pour la stocker. La bile émulsionne les lipides (les graisses).
Le foie aide également à métaboliser les glucides, les protéines, les acides aminés et à décomposer et éliminer certains médicaments et hormones.
Rappelez-vous cependant, c’est un inside job, c’est-à-dire que tout cela vient se produire au niveau cellulaire.
Le foie n’est pas une éponge que vous pouvez essorer ou «détoxifier» dans une posture de yoga comme une torsion. S’il vous plait, arrêtez de dire ça.”
Le yoga n’est donc pas “detox” à proprement parler mais est une aide, un soutien dans l’action de détoxification, qu’elle soit naturellement produite par le corps ou accentuée lors d’une cure.
Détox et dérives
Il est un point qui est à mon avis crucial à aborder quand on parle de détox : le rapport au corps.
Diet culture et grossophobie
Sous couvert de pratique bien-être, le “yoga détox” met en avant majoritairement le même type de corps : mince, blanc, valide. Ce qui est souvent vendu comme “yoga detox” participe de la diet culture où un corps mince est synonyme de bonne santé. Et surtout, qu’un corps au-delà d’une taille 38-40 serait en mauvaise santé, ce qui est simplement et scientifiquement faux. Voir à ce sujet les articles What is Diet Culture ? de Christy Harrison sur la santé performative et celui du blog Overflow.
Cette association “yoga + détox + minceur” est à mon sens mortifère d’un point de vue physique, psychologique mais est également la source de nombreux problèmes de troubles de l’alimentation comme le rappelle justement la National Eating Disorders Association dans son article Recognizing and Resisting Diet Culture (Reconnaitre la diet culture et y résister).
Associer la détox (et le yoga !) à la minceur, c’est aussi les dévier de leurs buts initiaux. Réfléchir à son rapport à la nourriture, aux émotions que l’on peut y associer, aux quantités que l’on mange comme à la qualité des produits ingérés est une bonne chose à mon avis. Mais ça n’est plus du tout bénéfique quand on lui associe une volonté de minceur, de culte du corps ou de la performance. On sort de la volonté de préserver sa santé pour satisfaire des dictats d’une société de l’image où chaque aspect de la vie doit être instagrammable.
Le détox telle que vendue et presque imposée partout sur nos écrans après les fêtes insiste sur le fait de “rester fit”, “retrouver la ligne” – quand on ne parle pas directement des “kilos en trop” après les repas des fêtes. Cette détox-là ne cherche par le rééquilibrage alimentaire en cas d’excès ou l’amélioration de la santé globale, mais crée des comportements compulsifs à grands coups d’injonctions normatives.
Dans la même veine, la volonté de purification constante, au nom de la santé, emporte la pratique de la détoxification vers des dérives hygiénistes dangereuses. Boire des jus pressés à froid de temps en temps est très bon pour le corps mais faire une cure complète de jus n’est pas un passe-temps et se doit d’être encadré par des personnes compétentes (et non des vendeurs d’extracteurs de jus).
Bien évidemment, le marketing autour de ces pratiques omet de préciser que le corps se détoxifie de lui-même en permanence et qu’une alimentation saine et équilibrée est bien plus efficace que de vouloir se nettoyer de l’intérieur sans arrêt. Comme pour le yoga détox, c’est bien moins vendeur.
Voici donc le cœur des dérives autour de la détox et du « yoga détox » : la dangereuse alliance de la diet culture et la récupération capitaliste de ces pratiques. En injectant du marketing dans ces pratiques, on les a déviées de ce qu’elles étaient simplement au départ – des techniques pour prendre soin de son corps et de sa santé globale.
Et si on retrouvait l’équilibre ?
Même si je trouve qu’il y a beaucoup à dire sur le « yoga détox », l’essentiel n’est-il pas au final de trouver un point d’équilibre – et en premier lieu en se posant des questions.
Tout d’abord arrêter avec le mythe de la pilule / posture / recette magique qui va pouvoir effacer le moindre excès que nous avons fait vivre à notre corps ou qui nous permet justement de vivre les excès sans en craindre de quelconques conséquences. Nous ne sommes pas des machines que l’on peut réinitialiser pour repartir à neuf.
Ensuite remettre en question les messages et diverses injonctions qu’on nous envoie : pourquoi cette personne affirme-t-elle ça ? Quelles sont les sources et les textes de références qui étayent tel argument ? Est-ce que ce message est une invitation pour me vendre quelque chose ?
Il faut enfin régulièrement remettre en question ces pratiques par rapport à soi : de quoi ai-je vraiment besoin ? Qu’est-ce qui est bénéfique pour mon corps et ma santé physique et mentale ?
Pour finir, le yoga et la détox peuvent tout à fait cohabiter avec intelligence dans le cadre de pratiques douces et conscientes, adaptées à ses besoins réels plutôt qu’à une expérience de consommation.
Si on souhaite vraiment aller vers ces pratiques pour une cure au long court, il est préférable de se rapprocher d’un.e naturopathe qui pourra en toute sécurité créer un cahier de route adapté à vos besoins.
J’espère que cet article t’aura fait réfléchir aux rapports entre yoga et détox – et plus globalement sur la pratique de la détox, ses dérives mais aussi ses bienfaits.
Merci pour ta lecture
Bibliographie et ressources
✨ Mon corps en équilibre, Géraldine Pezet et Caroline Florentin – site web dédié au livre
✨ Digital minimalism, Cal Newport
✨Hatha-Yoga-Pradipika, traité de Hatha-Yoga – Introduction, traduction et commentaires par Tara Michaël
✨ Gheranda Samhita, Swami Niranjanananda Saraswati (Bihar School of Yoga)
✨ Aux origines du yoga postural moderne, Mark Singleton
✨ La torsion a-t-elle réellement un effet “détox”?, Clémentine Erpicum – article de blog
✨ Demystifying detox: Can yoga really cleanse the liver?, The Guardian – article de presse
✨ MetaAnatomy – Anatomy of a Yogi – Volume Two : Body Poetry, Kristin Leal
Citation en version originale : “The liver also acts as an accessory organ by producing bile, which is transported by a duct system to the gallbladder for storage. Bile will emulsify the lipids, or fats. The liver will also help to metabolize carbohydrates, proteins, amino acids and break down and remove certains drugs and hormones. Remember though, this is an inside job meaning, this is happening cellularly. The liver is not a sponge that you can wring out or “detox” in a twisting yoga pose. Please stop saying that.”
✨ Collectif Gras Politique (et ses articles en ligne)
✨ What is Diet Culture ?, Christy Harrison – article de blog
✨ Anti-Diet: Reclaim Your Time, Money, Well-Being and Happiness Through Intuitive Eating, Christy Harrison
✨ What is diet culture ?, Overflow – article de blog
✨Recognizing and Resisting Diet Culture, Ragen Chastain, article sur le site du National Eating Disorders Association
1 Response
[…] drishti se retrouve dans les techniques de purification, comme j’ai pu le citer auparavant dans l’article sur Yoga & Detox, avec par exemple la pratique de trataka – fixer la flamme d’une bougie jusqu’à ce que […]